Dans cette série d’articles, Cédric Lizotte visite certains des meilleurs restaurants d’Europe. De la France à la Suisse en passant par la République tchèque, voici les bonnes adresses pour goûter les délices de certains des meilleurs chefs de la planète. Suivez-le grâce au mot-clic #CedricEnEurope.
BERLIN, Allemagne – Les restaurants dits « ethniques » sont habituellement gérés par des gens qui font les recettes traditionnelles de leur endroit d’origine. Il s’agit plus souvent qu’autrement d’immigrants qui s’ennuient des saveurs de la maison.
Horváth, un restaurant dans le quartier branché de Kreuzberg, à Berlin, est un restaurant dit « ethnique ». Son chef vient d’ailleurs. Mais ce resto-ci n’a rien d’autre en commun avec les autres.
Le chef Sebastian Frank n’a que 34 ans (né en 1981). Il vient d’Autriche et répète à qui veut bien l’entendre qu’il fait de la cuisine autrichienne. La technique est relativement française, dans le sens où la présentation élégante, la mise en valeur des ingrédients et la légèreté des plats, piliers de la Nouvelle Cuisine, sont à l’avant-plan. Mais les goûts sont tous inspirés, selon chef Frank, de plats traditionnels autrichiens. Et plusieurs ingrédients viennent aussi d’Autriche.
Peut-être faut-il souligner que l’Allemagne et l’Autriche ont une frontière commune, une langue en commun et qu’il y a moins de 700 kilomètres pour séparer Berlin de Vienne. Les deux cultures sont peut-être jumelles séparées à la naissance sur plusieurs points. Néanmoins, chef Frank insiste: on mange de l’Autrichien, à son resto. Un restaurant ethnique, donc. Un restaurant autrichien, unique, ethnique, et primé.
Horváth Restaurant: Le repas
Quelles sont les saveurs de l’Autriche? Et en quoi diffèrent-elles de celles de l’Allemagne? …Veau au lieu de porc… La présence de plats sucrés-amers… Du fromage dans les saucisses… est-ce tout? Difficile à dire.
Quelques petits pains sont servis avec l’apéro, et une bouchée exceptionnelle s’y trouve: le pain au boudin noir. C’est comme un trou de beigne salé avec de la saucisse!
Puis, un amuse-bouche d’asperge. Simple, délicieux… la portion est minuscule, ce qui est idéal pour goûter seulement.
Avec le premier plat, un vin Hongrois. Grof Degenfeld Terezia, Tokaj, 2012 (Harslevelu). C’est ma première fois à goûter à Harslevelu, ce cépage hongrois.
Et le premier plat s’appuie directement sur le vin: brocoli, graines de moutarde germées, ail, crème de chocolat blanc. Ce plat est brillant, rien de moins. Les feuilles du brocoli sont séparées, puis calcinées; ça goute presque les noix. Le côté brûlé interagit avec le vin et créé une toute nouvelle saveur caramélisée, sucrée, presque crémeuse. La sauce au chocolat est si subtile qu’il est difficile d’identifier le goût du chocolat. Les graines de moutarde germées sont beaucoup plus douces que les fraîches ou les marinées. Tout de go, je me pose la question: est-ce le meilleur plat végétarien que je n’aie jamais mangé?
Deuxième plat, deuxième vin: Ebner-Ebenauer, Bürsting, 2013 (Grüner Veltliner). Fruité, poivré, agréable.
Champignons, céleri, malt, crème sûre, huile de pavot. Le même principe est appliqué au second plat: une combinaison de blanc et de calciné/caramélisé donne un merveilleux goût qui rappelle le butterscotch. L’idée d’incorporer le malt comme ingrédient dans un plat est aussi parfaitement exécutée! Et la présentation est si élégante…
Horváth Restaurant: Implacable
Comme troisième vin, on passe à quelque chose de beaucoup plus funky: Pod Stolpom par Conrad Fürst et fils, 2012 (mélange de cépages). Pommes vertes, tabac, super minéral! Surprenant.
Troisième plat: truite, aubergine, « menton de cochon ». Quoi?
Il s’agit d’un filet de truite cru, d’une sauce caramel-porc, d’un tzatziki moderniste, et le « menton de cochon » a tout l’air d’être du bacon. Celui-ci est très fumé, et ceci parfume le plat en entier et affecte l’interaction avec le vin.
Et ça continue: Knipser, Pfalz, 2014 (Chardonnay et Weissburgunder). Knipser est une maison des vins géante, et ses produits sont partout. Il s’agit donc peut-être d’une fierté nationale.
Le plat qui l’accompagne combine pommes vertes et asperges. Les asperges sont marinées et frites, l’eau d’asperge est gélifiée pour accompagner le plat, la pomme verte est accompagnée de schmaltz.
Horváth Restaurant: Une recette parmi les recettes
C’est à ce moment qu’on remarque un pattern. Une recette parmi les recettes.
Il y a un élément calciné. Ce goût fumé qui va avec le vin blanc qui l’accompagne.
Il y a quelque chose de sucré qui transforme le calciné en caramel.
Il y quelque chose de de sûr (les pommes vertes, ici).
Il y a un élément umami (généralement une réduction).
Et un item « savoureux » (ici, une touche de camomille).
Le repas continue. Une avalanche.
Un vin par Matthias Gaul. Pour aller avec un plat de légumes racine, blanc d’œuf et chou. (C’est un des plats signature du chef.) Imaginatif. Plusieurs techniques en utilisant les mêmes ingrédients.
Un vin par Fred Loimer – Schellmann In Gumpoldskirchen 2012 (Spätrot et Rotgipfler). Et un plat de persil, jaune d’œuf et radis. Très bon, et très léger, surprenant parce que les plats de la séquence offraient des goûts plus francs avant ce plat-ci. Mais quand je prends une gorgée du blanc, là, ça explose. Végétal, minéral, intense, le radis gelé (tellement japonais!) qui ne goutait rien se dévoile…. wow.
Un vin par Roland Velich:, Moric, Burgenland, 2013 (Blau Fränkisch). Le premier rouge de la séquence. Pour aller avec un plat de veau et légumes racines. La viande est rôtie, accompagnée d’une sauce aux œufs et au cerfeuil. Répétez après moi: calciné, frais, umami, vinaigré. La viande est spectaculairement tendre, la sauce aux œufs séduit.
Un vin par Lisa Bunn: Riesling Tafelstein Spätlese 2012 (Riesling). Mon vin préféré de la soirée: pêche, apricot, jasmin… très vert et goûteux. Et un dessert aucunement sucré (!). Concombre salé, lait d’amande, lavande, jus de rhubarbe, aneth.
Encore du vin. Tokaji Aszu 3 Puttonyos 2008 (mélange de cépages). Encore un vin qui ne contre-attaque pas le plat mais le supporte. Avec ce vin, un plat de légumes et de chocolat… qui ne goûte ni les légumes, ni le chocolat! Unique, fou, spécial, excellent, délicieux, délicat, comme tout le repas.
On continue? Hüls, Kabinett, 2012 (Riesling). Celui-ci s’annonce sucré, mais qui est plus complexe qu’il n’y parait. Le goût de pêche prédomine. Le plat qui vient avec ce vin est un plat de noisette, de mélasse et de beurre noisette. Résultat? Nutella!
Spectaculaire, amusant, enlevant, jouissif. Ce n’est pas pour rien que depuis ma visite, Horváth et son chef ont reçu une seconde étoile Michelin…
Horváth
Paul-Lincke-Ufer 44a, 10999 Berlin, Allemagne
+49 30 61289992