Dans cette série d’articles, Cédric Lizotte visite certains des meilleurs restaurants d’Europe. De la France à la Suisse en passant par la République tchèque, voici les bonnes adresses pour goûter les délices de certains des meilleurs chefs de la planète. Suivez-le grâce au mot-clic #CedricEnEurope.
NICE, France – Ne jugez pas un resto par son logo.
Le Vingt4, à Nice, c’est un petit bistro de quartier, c’est un bar à vin, c’est un endroit où on sent qu’on est du quartier pour une soirée, c’est un resto où les complexes sont oubliés; c’est une place qui, à elle seule, nous plonge dans ce que Nice, la Côte d’Azur, la France toute entière est, dans nos rêves, dans nos fantasmes, dans les livres et les films qu’on dévore depuis qu’on est petits.
Le vin est à l’honneur. La gastronomie aussi. La conversation est vive et agitée, dans le sens le plus positif du terme. Les rires sont gras et l’attitude décontractée. Et ce qui est dans l’assiette et dans le verre sont à se rouler par terre.
Mais, si le Vingt4 est tout ça, est-ce que ça veut dire qu’on tombe dans l’excès?
Absolument pas.
Le Vingt4: On plonge
Les gens un brin superficiels pourraient jeter un œil rapide au Vingt4 et ne jamais s’arrêter. Le décor n’est pas exactement au goût du jour… 1999, peut-être? Le concept, de son côté, est vague: et est-ce qu’on s’apprête à manger dans un bistro de quartier ou dans un bar à vin?
Les apparences sont parfois – toujours – trompeuses.
Le copropriétaire, Éric, est rempli d’enthousiasme, de conversation, sourit constamment. Et tout de suite après s’être présenté, c’est l’apéro: Champagne Herbelet rosé grand cru (chardonnay et pinot noir). On plonge.
C’est en dégustant ces bulles qu’on jase du restaurant, de la ville, de la France toute entière, du tourisme, de la Côte d’Azur… D’ailleurs, Éric m’explique que le restaurant a bien failli ne pas survivre. « Oui, on a failli fermer, explique-t-il. À deux semaines près… Ma femme a passé la première Saint-Valentin toute seule dans le resto. Déprimant. » Lorsque ça ne fonctionne pas comme prévu, on essaie de nouvelles choses. Éric a commencé à laisser des notes dans toutes les langues à ses clients: « laissez-nous un avis sur TripAdvisor… » « Du jour au lendemain. Le resto s’est rempli. » Ce sont les mots du proprio!
Après la belle flûte de rosé, il faut grignoter, question de se mettre en appétit. Éric m’offre de goûter un excellent jambon bellota. Et pour l’accomagner, Éric me montre un petit jouet très amusant: un distributeur de vin automatique qui garde chacun des vins à sa température optimale. Pour la démonstration, il me sert un verre de blanc, Domaine Mouton, Côte Bonnette, Condrieu, 2013. Un vin complexe, fruité et exotique, frais, qui fait exploser en bouche le gras du jambon.
Et puis, pour comparer, on essaie un deuxième vin avec le jambon: Clos Canarelli, Corse Figari 2013, en blanc (vermentino). Celui-ci est un brin plus complexe et soyeux que le dernier. Avec le jambon, on se rapproche de l’extase!
Le Vingt4: le repas (faux départ)
Les deux chefs du Vingt4, qui fonctionnent en rotation, se nomment Olivier Mainard – Français – et Christian Rongstad – Norvégien. Ceux-ci se concentrent sur la cuisine du marché et construisent des plats gourmands. Comme vous avez pu le remarquer, au Vingt4, on aime s’amuser. Ça se remarque dans l’assiette.
Alors que je croyais qu’on allait m’amener mon entrée, Éric, avec son immense sourire sournois, s’approche de ma table. Que peut-il avoir derrière la tête?
« Alors là, j’ai trois rosés, mon cher, que tu dois absolument goûter. Ce sont des vins de Provence. En déclinaison. Allez! »
Pas question de refuser.
– Made in Provence Premium rosé by Ste. Lucie, Domaine Sainte-Lucie (syrah, grenache, rolle).
– Symphonie, Château Sainte-Marguerite, la Londe (grenache, cinsault).
– L’Hydropathe Elite Rosé, Domaine Sainte-Lucie (syrah, grenache).
Le premier, c’est comme sentir/boire une pèche. Le deuxième, qui est inclus dans la majorité des guides de rosé du monde, est très léger en fin de bouche, presque absent. Le troisième, rond, complet, beurré. Viens-je de réaliser que le préfère les blancs et rosés beurrés? On en apprend même sur soi-même, au Vingt4…
Le Vingt4: le repas
Alors là, c’est vrai! L’entrée s’en vient. C’est le temps des asperges, et c’est l’ingrédient vedette du premier plat. Il est accompagné d’un tartare de tomates et d’une mignonette au concombre.
Le plat est simple, excellent, apprêté sans trop de chichis.
Mais au Vingt4, on ne s’arrête pas là.
« Avec les asperges, ça prend un vin sec », affirme Éric.
D’accord! Pouilly-Fumé Petit Fumé, Michel Redde & Fils, 2014 (Sauvignon blanc). Il est à la fois corsé et fruité… et le goût très végétal, très vert de l’asperge s’insère entre les deux arômes. Superbe.
Et puis on enchaine, simplement, vers le plat principal.
Alors là, j’ai été traité aux petits oignons! Éric m’amène un filet de cochon pata negra… qui vient du menu secret! Évidemment que le Vingt4 a un menu secret. Surpris? Pas moi!
Et puis Éric a pris son erre d’aller. Donc il m’envoie trois rouges et me demande mon préféré.
La dernière fois que vous êtes allé dans un restaurant et que le proprio, qui s’y connait vraisemblablement en vins et en gastronomie, vous a demandé de justifier le meilleur accord entre le vin et le plat, selon vous, pour le plaisir, comme ça, parce qu’il a envie de vous entendre… c’est quand?
À ce moment dans le repas, je me sens presqu’à la maison. Entre amis. Avec un interlocuteur que je viens à peine de rencontrer. Dans une ville où j’ai mis les pieds il y a à peine quelques jours.
Le cochon est parfaitement cuit. Simple, merveilleux, gras, délicieux…. C’est, en fait, le meilleur filet de porc que je n’aie jamais mangé. C’est que c’est simple! Pas de flafla. Cochon, sauce, champignons de Paris, pois mange-tout. Rien d’autre.
Mais qu’a-t-on fait à ce morceau de viande pour qu’il soit si onctueux? C’est simple, selon Éric. » Le cochon duroc de Batallé. Connais-tu? Tu as de la pointe de filet dans ton assiette. »
Et puis les trois rouges qui ont l’honneur d’accompagner ce morceau de porc sont aussi agréables.
– Saint-Victoire, Château Coussin, Famille Sumeire, 2011 (syrah, grenache, cabernet sauvignon)
– Triennes, Saint-Auguste, 2012 (syrah, cabernet sauvignon et merlot)
– Clos Canarelli, Corse Figari, 2012 (nielluccio, syrah, sciacarello)
Le premier a du coffre. Le raisin noir et torréfié est long en bouche et reste sec; peut-être que le plat de porc est un peu trop délicat pour aller avec ce vin? Le deuxième est beaucoup plus balancé, a moins d’arrière-goût; mûre et noix de muscade. Le troisième, qui est le même qu’à la dégustation de rosés, mais en rouge, est encore plus léger; chêne, cuir, semble disparaitre complètement après chaque gorgée.
Le Vingt4: du luxe
Et, puisqu’on est en France, on continue vers le plat de fromages. Parce que c’est obligatoire! Il s’agit (tenez-vous bien) d’un brie de Meaux truffé par le chef accompagné d’un champagne rosé. La combinaison m’a fait sursauter lorsqu’Éric me l’a présentée, mais en bouche, un brie de Meaux, de vraies truffes d’hiver, du mascarpone, combiné au même champagne rosé qu’en apéro… Au premier abord, ma bouche est attaquée par la truffe, et ça m’a rappelé à quel point l’huile de truffe, c’est mauvais! Il n’y a rien comme la vraie truffe d’hiver. Ensuite, avec une gorgée de vin en bouche, ce champagne avec un bel équilibre de goûts se transforme, inexplicablement, en jus de pêche! Il s’agit d’une bouchée équilibrée, intense, et on y retourne goulument!
Non, non, ce n’est pas terminé. Un dessert au chocolat conclut le festin. Et, bien évidemment, il y a un vin pour ce plat aussi! Domaine Bousquet, Vallée Tupungato, Argentine, 2009 (Malbec). Le moelleux au chocolat et le rouge plein de tannins s’affrontent et se marient, au loisir des bouchées.
Boire tue, vieillir tue, fumer tue, aimer tue, vivons!
Le Vingt4
24 Rue Alphonse Karr, 06000 Nice, France
+33 4 93 88 45 49