ROME, Italie – Certains restaurants de haute gastronomie cherchent à offrir une atmosphère aristocratique. Il s’en trouve qui aiment exagérer sur ce point. D’autres établissements de fine cuisine rendent tout extra-formel, strict, procédural, et chaque mouvement est associé à une étiquette spécifique. Et certains restaurants haut de gamme veulent simplement que le client s’amuse. Pour moi, Imago Rome, en Italie, est dans la dernière catégorie.
Dans cette série d’articles, Cédric Lizotte visite certains des meilleurs restaurants d’Europe. De la France à la Suisse en passant par la République tchèque, voici les bonnes adresses pour goûter les délices de certains des meilleurs chefs de la planète. Suivez-le grâce au mot-clic #CedricEnEurope.
Le chef Francesco Apreda n’est pas un chef italien stéréotypique. Non seulement il cuisine avec des saveurs sans lien apparent – «épices indiennes, techniques japonaises, ingrédients italiens», dixit sa biographie officielle – il le fait aussi dans l’un des plus beaux hôtels de Rome.
De plus, il est de Naples, l’endroit, de toute l’Italie, le plus empêcheur-de-tourner-en-rond, la ville qui défend les recettes classiques avec le plus de hargne, la place où il est le plus impensable de jouer avec la tradition. Si Naples est un épicentre de nostalgie contemporaine, la cuisine du chef Apreda est tout sauf mélancolique.
Et puis, il y a la salle à manger elle-même. Le restaurant Imago est situé dans le Hassler, au dernier étage, et donne sur les marches espagnoles. Il n’y a pas plus central – et touristique! C’est un hôtel emblématique, et la décoration des chambres et de l’hôtel lui-même tendent vers la vieille-garde, vers un style qui n’a pas d’âge. Le restaurant, cependant, a un look un peu étrange, rappelant le début des années 2000, avec des lasers violets projetés des pieds de colonnes de style romain.
Mais tout cela n’enlève rien à la vue splendide qu’offre le restaurant, l’une des plus belles de la ville.
Et ça ne change strictement rien à ce qui se trouve dans l’assiette.
Si certains plats sont assez subtils, aucun d’entre eux ne manque d’assaisonnement. Certains mets sont très épicés – dans le sens « épices », pas dans le sens « piquant » – et c’est, d’ailleurs, une des spécialités de chef Apreda. Il fabrique ses propres mélanges d’épices, un héritage du temps qu’il a passé en Inde, où il est toujours consultant pour quelques restaurants.
Imago Rome – De la fusion éhontée
Des items tels «ravioli au bonito», «vermicelle de soja» ou «canard tandoori» ne sont pas servis dans n’importe quel restaurant. Il s’agit de cuisine de fusion éhontée. Et tout plaisir coupable a un même point en commun, c’est-à-dire le plaisir. Tout ce qui compte, c’est d’être diverti. Et les plats servis au restaurant Imago réussissent où plusieurs échouent : ils amusent et surprennent.
Le plat de pétoncle servi en début de repas exemplifie à merveille le travail de M. Apreda. Les pétoncles semblent fumés; de la poutargue est râpée, de haut, par-dessus le plat, ce qui offre un assaisonnement aux notes d’umami et de miso salé; de la truffe noire, des poireaux et des artichauts complètent. Les ingrédients italiens et les influences japonaises sont tous deux à l’avant-plan. Et ce plat particulier est ramené à l’essentiel grâce au vin qui l’accompagne, un (très local) Frascati Villa Simone Vigneto Filonardi, 2014. À ma grande surprise, le vin sent le bubblegum, mais ne goûte rien de tel. En fait, une fois en bouche, la combinaison renvoie toute la fragrance du plat vers ses origines: la mer.
Le plat de ravioli offre une expérience similaire : les raviolis sont servis dans un dashi de bonite; un « jus » de parmesan est enfermé dans le ravioli lui-même, et les pâtes sont d’une texture extrêmement délicate. Je ne peux pas m’empêcher de le comparer au carbonara de chef Heinz Beck, son plat signature. Le soupçon d’arômes japonais est aussi subtil qu’il est important, comme si sa présence nous assurait que nous mangeons au restaurant de chef Apreda, et nulle part ailleurs.
Un risotto cacio e pepe est orné d’un des nombreux mélanges d’épices de Mr. Apreda. Le mix concocté pour le plat de risotto est axé sur les poivres et leurs contrastes. Beaucoup plus parfumé que piquant, le poivre sur le risotto va chercher très loin dans le spectre des goûts trouvés dans le parmesan et met en avant-scène les – délicieux – arômes de petit pied et de grange qu’on retrouve dans les meilleurs fromages. Ces arômes sont davantage amplifiés par une gorgée du vin assorti, Feudi di San Gregorio Ros ‘Aura 2013. Ce vin sommes toutes musqué offre un mariage inattendu, étonnamment délicieux avec le poivre et le fromage.
Environ une heure après le début du repas, j’ai remarqué que le restaurant peut être un peu bruyant, relativement parlant. Mais des enceintes soigneusement placées au plafond autour des tables créent des murs acoustiques, séparant chaque table et fournissant un faux sentiment d’intimité. Cette ingéniosité est remarquable, surtout après mon expérience presqu’ecclésiastique au restaurant La Pergola.
Les techniques, les saveurs, l’ambiance, les arômes, les ingrédients, le décor ne correspondent pas du tout à l’emplacement géographique du restaurant : au beau milieu d’un des endroits les plus anciens de Rome, et dans la capitale d’une des régions culinaires les plus affirmées de la planète. Mais ce qui est présenté par chef Apreda est, avant tout, délicieux, amusant, divertissant. Ici, ce qu’on trouve dans l’assiette s’exprime haut et fort.
Imago Restaurant
Hotel Hassler Rome
Piazza Trinità dei Monti, 6, 00187 Roma, Italy